jeudi 21 août 2014

Le monde, le philosophe et l'artiste - réflexion sur les Particules Elémentaires 1/2


On m’a récemment recommandé un auteur (Michel Houellebecq) comme étant un des génies littéraires du 21ème siècle. Ces derniers temps, j’ai essentiellement lu de la Fantasy (avec des auteurs comme Raymond E. Feist ou Robin Hobb), ou bien les derniers livres à la mode tels que La Délicatesse de David Foenkinos). C’est sympa, ça se lit bien, ça met de bonne humeur, mais ça casse pas trois pattes à un canard en termes d’ambition intellectuelle - même si le roman de Foenkinos a remporté un joli pactole de prix. Je me sentais donc vaguement coupable d’avoir mes aspirations littéraires au ras des pâquerettes, et je me suis dit que je ne pouvais pas décemment mourir sans avoir lu Houellebecq – non pas que j’ai prévu de décéder prochainement, mais sait-on jamais, une météorite est si vite arrivée.


J’avoue tout de go que j’avais un apriori assez négatif sur le monsieur. J’avais vaguement compris qu’il est le genre d’auteur désabusé, pessimiste (post-moderne) dont les postures m’irritent ; mais je préfère une opinion de première main, et je me suis donc attelée à la lecture des Particules Elémentaires, histoire de ne pas mourir idiote (enfin, pas TROP idiote). La lecture en a été assez laborieuse : moi qui d’habitude avale les mots et les phrases d’auteurs de tous bords avec avidité, j’ai eu du mal à ne pas décrocher, et j’ai peiné à traverser les passages de description métaphysique (digressions à valeur d’alibi scientifique) qui émaillent la narration. Néanmoins jusqu’au bout j’ai espéré la révélation que laissait espérer le retentissement du roman, et ai donc persévéré.

C'est vrai ça, à la fin. Les gens sont trop nuls.
Fuck la life, quoi.
L’illumination m’a malheureusement fait faux bond, et c’est avec une certaine tristesse, assortie d’un non moins certain agacement, que j’ai tourné la dernière page. L’auteur nous propose, au travers du parcours de deux personnages volontairement peu attachants, une vision nihiliste de la vie, sur laquelle plane une omniprésente et menaçante absence de désir de vivre. Le manque de libido (au sens large d’ « envie d’exister ») se cristallise dans le déclin et le trépas du désir sexuel, la folie et finalement la mort au niveau individuel ; et en en la conséquente disparition pure et simple de l’humanité en tant qu’espèce. Super réjouissant quoi.

Au-delà de la déception littéraire (je n’ai pas reconnu le génie annoncé, et la posture post-moderne du roman est finalement relativement triviale), ce livre m’a fait sérieusement réfléchir sur le rôle de l’artiste dans le monde. L’auteur, artiste aux prétentions philosophiques, présente une vision déprimante du monde, et je ne peux m’empêcher de me demander ce qui attend le lecteur qui adhérerait à cette conception. A part sombrer dans une torpeur noire, nourrie de la triste absurdité de la vie, de la nullité de l'humain et du pourrissement inéluctable du plaisir, ou bien – plus simple, plus rapide - se jeter d’un pont, je ne vois pas trop. Alors bon, merde quoi.

Du coup, je vous livre la réflexion qui s’en est suivi. Je pars su même postulat que l’auteur (l’inexistence de Dieu et l’absurdité du monde), mais ma conclusion diffère du tout au tout. Comme c’est long (qui a dit « chiant » ?), je vais scinder l’article en deux parties. Enjouaillez.

Petit intermède de mignonnitude avant l'article relou
En l'absence de Dieu, c'est à dire en l'absence d'un principe précurseur et fondateur (une intention) d'une part, et d'une valeur morale absolue d'autre part, l'existence n'a ni valeur propre ou intrinsèque, ni finalité. De ce fait, elle n'a de valeur que celle que nous lui attribuons. Tout individu est donc libre, dans les limites fixées par son entendement, sa sensibilité ou son imagination, de se construire son propre système de valeurs et de règles.

Il est à la fois effrayant et exaltant de réaliser que chacun est l'architecte de son monde - monde qui prend une réalité pour l'individu mais également pour les autres individus autour de lui, ses proches. Les intentions que nous insufflons dans notre monde, par notre parole ou nos actes, lui confèrent une structure et une réalité qui est valable à l'exclusion de toute autre. C’est par nos acte par exemple que nous promouvons l’honnêteté ou la duplicité, ou que nous privilégions la vérité ou le confort, la gentillesse ou l’individualité, l’optimisme ou le pessimisme : toutes ces valeurs auront un impact sur notre mode de vie ainsi que sur celui des autres (famille, amis et tiers) autour de nous. C'est ainsi que des systèmes moraux individuels peuvent entrer en conflit, sans qu'il soit possible de déterminer si l'un a une valeur supérieure à l'autre.

L'impossibilité d'établir une hiérarchie des réalités tient bien sûr au fait qu'en l'absence de principe absolu, il n'existe pas de juge : chaque individu se retrouve donc dans la position confortable mais déroutante d'être à la fois juge et partie. Certains principes (souvent historiques) moraux, hérités de la religion ou des règles de vie en société (règles qui visent à pallier l'absence de valeur morale absolue et établir une didactique du bien et du mal propre à favoriser la pérennité de l'espèce humaine dans son ensemble) se posent en juges des réalités et tentent d'exclure les systèmes marginaux et extrêmes. Néanmoins ceux-ci subsistent, et sont même tolérés tant qu'ils sont bénins.

Ceci posé, il apparaît que l'individu a force de loi, et se retrouve confronté au problème violent et terrorisant du choix. La majorité des individus tend à adopter le système dominant, c'est-à-dire celui en vigueur dans la société ou le système de croyances (religion) dans lequel ils évoluent, et évacue donc l'angoisse du choix. Mais d'autres, moins nombreux - heureusement sans doute - et conscients de ce que les systèmes dominants peuvent avoir d'artificiel, vont chercher à établir leur propre système. On se rapproche du concept nietzschéen de surhomme.

Quel système établir ? Certains, conscients de l'absurdité même du concept de réalité - n'est-elle pas censée être universelle et partageable ? - vont baser leur système sur cette angoisse existentielle. Leurs réalités sont souvent sombres et cruelles, mais se prévalent d'une honnêteté intellectuelle supérieure : ils rendraient mieux compte de l'absurdité sordide du monde et de l'existence. Parfois ces mêmes individus tendront à disqualifier les autres visions de la réalité, les qualifiant de naïves et "mainstream". C’est la posture qui est adoptée par l’auteur des Particules Elémentaires : il nous offre une vision nihiliste du monde, affirmant l’inéluctable déclin du désir et du plaisir, qui se perdent dans une infinie fuite en avant (illustrée notamment dans la surenchère sexuelle de l’un des personnages principaux) qui ne peut finalement aboutir qu’à la folie ou à la mort. En pointillé, les conceptions plus positives de la vie sont dénoncées comme irréalistes et vouées à l’échec : posture à la fois prétentieuse et défaitiste de la part de l’auteur.

Article à suivre…

1 commentaire:

  1. Bonne analyse ! Je suis d'accord pour qu'il aille rôtir en enfer (il y retrouvera sûrement ses potes).

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